« Á boire, à boire, à boiiiire
Á boire Tavernier! »
- Oh ! Victor, t'as un bel organe ! C'est le temps des vendanges qui te met de bonne humeur je suppose !
- Eh! Loule, y a de ça. Il est bon ton rouge. Après t'avoir caressé le clapoir, il te glisse délicieusement vers le cimetière à andouillettes en te réchauffant les tuyaux que c'en est un bonheur.
- Côtes-du-Rhône Victor! Côtes-du-Rhône!
- Seulement, en sortant de ton merveilleux antre de perdition après deux canons, je risque – si je conduis et me fais contrôler par les lollis – d'y laisser le permis...
- Tu risques pas grand chose: tout ce que tu conduis, c'est tes panards qui marchent en canard! Tè! A la tienne!
- Ce que je reproche à mes potes vignerons, c'est de faire des vins trop forts en alcool. Le moindre Côtes-du-Rhône titre 14°. Trop lourd.
- Moi, je préfèrerais proposer des vins à 11 ou 12°. Mais ça se trouve de moins en moins, et jamais en A.O.C. Il y a vingt ans, seuls les Châteauneuf-du-pape et les Gigondas titraient 14°. Maintenant, c'est la majorité des vins. Je vends ce que j'ai...
- Bientôt, Loule, tu pourras vendre des vins scandinaves, belges ou anglais!
- Dieu – enfin, Bacchus! - me garde, Victor ! Ne profère pas des insanités pareilles!
- Pas du tout Loule. Des gens de l'Inra se sont penchés sur le problème et ils estiment que la précocité des vendanges - et la teneur à l'alcool qui en résulte - sont liées au réchauffement climatique, un phénomène susceptible de bouleverser la viticulture traditionnelle qui pourrait aller jusqu'au « grand chambardement ».
- Què chambardement?
- La date des vendanges est liée aux températures d'avril à septembre. Les études agronomiques mais également historiques le confirment : l'avancée actuelle est liée en quasi-totalité au réchauffement climatique. Dans le temps, lors des années froides, c'était la catastrophe, il fallait mettre du sucre dans le vin qui n'était pas suffisamment alcoolisé ; c’était la « chaptalisation ». Mais depuis dix ans, on constate une augmentation du degré alcoolique des vins, c'est très net, partout. Ce qui était du 11 degrés avant, c'est du 13 degrés maintenant. Et chez nous, c'est même du 14 et 15°. Ça pose problèmes...
- Eh! Même les gens qui ont le gosier en pente, comme toi, lèvent moins facilement le coude à l'heure de l'apérobic. Pauvre de moi...
- Les professionnels du vin sont inquiets. Dans un premier temps, un léger réchauffement climatique c'est plutôt positif pour le vin. Jusqu'à 1 ou 2 degrés Celsius de plus, on peut penser qu'en modifiant les conditions de conduite de la vigne, on pourrait garder les productions traditionnelles et leur valeur de terroir. Mais au-delà c'est le grand chambardement. Pour les politiques, l'objectif est de limiter le réchauffement à deux degrés, seuil à partir duquel les impacts commenceraient à devenir dangereux pour les activités humaines. Pour la vigne, deux degrés, c'est le moment où cela commencerait à basculer. Si le réchauffement atteignait 5 ou 6 degrés en moyenne mondiale - ce qui se produira si les tendances actuelles se poursuivent - on pourrait trouver de la vigne dans le sud de la Suède, comme les vignobles qu'on commence à avoir en Angleterre, en Belgique, aux Pays-bas. Et ici, on plantera des palmiers à huile…
- Tè! Victor, l'année prochaine, je te servirai du véritable Knock-le-Zout-Village, du Manchester Grand Cru classé ou des Premières Côtes de Stockholm !
Septidi 17 fructidor 222
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